Le travail n'est pas une vertu, c'est pour ça qu'il doit avoir du sens

Par: DP PLATEL 3-11-2014

Catégories:Diversité,

Toujours d'après la conférence du philosophe André Comte-Sponville (relayée sur le site de Maestrio) qui me plait décidemment beaucoup ... Et que je relaye à mon tour.

" Les patrons me parlent de la baisse, voire de la disparition de la valeur du travail, notamment, chez les jeunes. Ce que je leur réponds alors, c'est que ce sont ces jeunes qui ont raison :

Le travail n'est pas une valeur morale, c'est pourquoi il doit avoir un sens !

Lorsque j'ai écrit "Petit traité des grandes vertus" certains chefs d'entreprise sont venus me voir en me reprochant de ne pas y avoir inclus un quelconque passage sur le travail.

Ce à quoi je leur répondais qu'il n'y en avait pas non plus dans les évangiles. Où avaient-ils jamais vu écrit "travaillez les uns les autres comme votre créateur travaille pour vous" ?

Ils me répondaient par la Genèse "tu gagneras ton pain à la sueur de ton front". .. Ce qui est effectivement une bonne définition du travail.

Le travail est donc ...un châtiment !

Même notre langue s'inscrit en faux contre cette idéologie managériale cherchant à faire du travail une vertu. Travail vient du bas latin "tripalium" qui désignait un instrument d'immobilisation voire de torture.

Puisque le travail n'est pas une valeur morale, un discours de moral sur les vertus du travail n'a aucune chance de mobiliser vos collaborateurs.

Si un manager en est réduit à donner des leçons de morale, c'est qu'il est en échec.

Nous en revenons donc à la nécessité d'avoir un sens.

L'idéologie managériale rapportée dans les livres de management (devrais-je dire "Le management raconté aux enfants" ?) ne s'interroge jamais sur la différence entre sens et valeur, voire les confonds allègrement.

La valeur est intrinsèque, la générosité vaut pour elle-même, alors que le sens est extrinsèque, il est, par rapport à quelque chose.

Déjà le sens a trois significations en français :

Le sens renvoie toujours à autre chose, il n'est sens que de l'autre.

Le sens du travail est ...autre chose que le travail

Et tant que vous n'aurez pas compris ce qu'est cet "autre chose" vous continuerez à prendre le travail pour une valeur morale.

Ce qui bien sûr, pour un manager, est très confortable :

Vous connaissez la parabole qui raconte que lorsque l'on montre la lune, l'imbécile regarde le doigt.

Je me dis que souvent, l'imbécile doit être un manager. Puisque effectivement, le doigt à du sens et que la Lune n'en a pas.

Or tous les jeunes entrants dans l'entreprise vont préférer regarder la Lune :

A condition bien sûr d'avoir les moyens de les y emmener et de les y accompagner.

Regardez vos enfants. Ont-ils du sens ? Bien sûr que non ! Les aimez-vous pour ce qu'ils seront dans 20 ans ? Bien sûr que non, vous les aimez pour ce qu'ils sont aujourd'hui. Ils n'ont pas de sens, mais c'est parce nous les aimons que notre vie prend son sens.

Si nous associons ces deux propositions, "Il n'est de sens que de l'autre" et "Ce n'est pas le sens qui est aimable, c'est l'amour qui fait sens",

nous pouvons en conclure pour le travail, que le sens du travail c'est autre chose que le travail et que cet autre chose ne fait sens qu'à proportion de l'amour que nous lui portons.

Si vos collaborateurs n'aiment rien ou jamais rien de commun, le métier de manager est impossible.

Or il y a quelque chose que tout le monde aime : l'argent. C'est pour ça que le métier de manager est possible.

Grâce à l'argent vous pouvez recruter des gens. Mais le métier n'est pas facile, car l'argent n'a jamais permis de recruter les meilleurs ou de fidéliser ses collaborateurs ou de les motiver.

L'argent est une bonne raison de travailler, mais c'est une raison médiocre.

N'importe quel médiocre est capable de comprendre qu'il a besoin de gagner sa vie. Donc, si vous ne proposez que des raisons médiocres à vos collaborateurs...vous ne recruterez et garderez que les médiocres !

Un chef d'entreprise me disait ceci, : "bien sûr que mes salariés viennent chercher un salaire. Cependant, ce n'est pas moi qui le fixe, mais le marché. Donc, s'ils restent travailler chez moi c'est sans doute qu'ils y trouvent un certain plaisir. C'est ce qui fait ma valeur ajoutée de manager".

Je partage son point de vue.

Vos salariés ne travaillent pas par amour du travail, de leurs clients, des actionnaires ou de leur patron, arrêtons de rêver. Les salariés travaillent par amour d'eux-mêmes et de leurs enfants.

Vos salariés travaillent pour être heureux,

parce que se sont des êtres humains et que je crois profondément, avec Pascal dans les Pensées, que "Tous les hommes recherchent d'être heureux. Cela est sans exception.

La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui vont se pendre."

Sources : André Comte-Sponville - Site Maestro